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LA TRANSITION DU ROMAN AU GOTHIQUE

Dans maintes églises du Bas-Limousin, art gothique et roman coexistent. Il serait plus juste de dire qu’ils sont juxtaposés, dans des corps d’architecture séparés. Des chapelles latérales sont presque systématiquement ajoutées, à l’âge gothique, à des nefs de construction romane. Souvent, c’est la nef elle-même qui est entièrement refaite, ou simplement voûtée d’ogives, laissant subsister le chœur roman (Noailles, Noailhac, Concèze, etc.). A Meyssac, on n’a conservé que le portail du style précédant. Dans tous les cas, on constate une brutale rupture de style : les nefs gothiques sont plus élevées que le chœur roman, les chapelles mieux éclairées, les colonnes romanes disparaissent au profit de culots plus légers. Cette impression de discontinuité entre les deux styles est due en partie à la date tardive des adjonctions gothiques, qui sont pour la plupart du XVe siècle. Entre les deux chantiers, trois siècles se sont écoulés, qui ont permis aux constructeurs gothiques de développer ce qui fut leur grande invention : la voûte d’ogives, et toutes les modifications architecturales qui en découlaient. Quelques édifices corréziens, pourtant, sont intéressants parce qu’ils se situent véritablement à une époque de transition, qui voit la naissance de l’art ogival. Leur étude permettra de constater que l’apparition de la voûte d’ogives n’a pas immédiatement bouleversé le mode de construction des églises, et que d’une certaine manière, l’art roman continue de subsister dans le premier gothique. 

 

 


Premiers essais : la voûtes d’ogives romane


 

 L’église de Sioniac, au-dessus de Beaulieu, est un témoin précieux de l’époque de transition entre les deux styles. En réalité, c’est une église romane par sa nef et son abside à fond plat, celle-ci ayant été revoûtée au XVe siècle. Des arcs doubleaux brisés à deux rangs de claveaux rythment les travées de la nef, et reposent sur des colonnes à chapiteaux sculptés (feuilles surmontées de volutes, sur le modèle des chapiteaux de Beaulieu). La particularité de la nef consiste dans son système de couverture : au lieu d’un berceau brisé, on a lancé une voûte d’ogives dont les claveaux, de section rectangulaire, sont du même débit que ceux des arcs doubleaux. Littéralement, ce sont deux arcs doubleaux romans qui se croisent au sommet de la voûte. La croisée d’ogives n’a donc rien de comparable à celles qui seront utilisées par les constructeurs gothiques. Pourtant, le principe est déjà connu, et appliqué ici avec des matériaux propres à l’art roman. Les ogives forment des arcs brisés, aplatis au sommet, où ils se croisent : trois claveaux, placés sur un plan horizontal, tiennent lieu de clefs. A la retombée des arcs, de courtes colonnes d’angle, qui portent des chapiteaux similaires à ceux des arcs doubleaux. On le voit, la nef présente une réelle unité de construction, qui se singularise par la mise en application d’un principe nouveau selon des procédés romans. 

On peut se questionner sur les intentions du maître d’œuvre, que la formation ne prédisposait pas, semble-t-il, à l’emploi de la voûte d’ogives. Si le goût de la nouveauté peut être invoqué, il ne faut pas oublier que le bâtisseur roman était, dans son art, confronté à une lutte permanente contre la poussée des voûtes. La voûte d’ogives, moins lourde que le berceau, est un gage de solidité. Il ne s’agit donc pas ici de décharger les murs afin de construire plus grand et mieux éclairé, mais bien pour garantir la pérennité de l’édifice. L’élévation, d’ailleurs, reste modeste, les murs épais, et l’éclairage très limité : une minuscule baie en plein cintre, dans la seconde travée de la nef, s’ouvre dans une cavité fortement ébrasée. Le nouveau procédé permettait d’alléger les charges pesant sur les murs, c’est pourquoi le constructeur roman l’a adopté.

 

 

 Les chantiers du « premier gothique » 


 

Plusieurs édifices du Bas-Limousin appartiennent en partie à la première période du gothique, qui peut être placée au début du XIIIe siècle. Aucun, cependant, n’est réalisé entièrement dans le nouveau style, dont les constructions viennent achever un monument commencé dans le style roman. A Meymac, c’est le voûtement seul qui porte la marque de l’art ogival naissant. La cathédrale de Tulle voit également sa nef centrale couverte d’ogives, mais le cloître et le troisième étage du clocher renvoient à la même époque. A Arnac, la façade occidentale date du début du XIIIe siècle, la datation des voûtes de la nef étant plus problématique. 

A Brive et Malemort, enfin, c’est l’intégralité de la nef qui est mise en chantier à cette époque, en prolongement d’un chœur et d’un transept romans. Ces deux derniers édifices présentant par ailleurs nombre d’analogies. Le prieuré Saint-Xantin de Malemort dépendant de la collégiale Saint-Martin de Brive, il est permis de penser que les chanoines firent appel à des équipes de bâtisseurs qui oeuvrèrent sur les deux chantiers. Cela se remarque, pour la partie romane, dans le décor sculpté, chapiteaux et modillons, mais également dans le décor architectural (oculus du croisillon nord des deux églises). Le portail occidental de l’église de Malemort, de style gothique, présente également une ressemblance certaine avec le portail nord de Brive, adoptant des moulurations toriques et des chapiteaux végétaux formant frise. Il est difficile d’évaluer l’écart qui sépare la mise en œuvre des chantiers romans et gothiques. A Malemort, cependant, plusieurs indices inclinent à penser que l’écart dut être minime, et que les bâtisseurs de la nouvelle école prirent la place pour ainsi dire de ceux qui avaient élevé chœur et transept dans le style roman. 

L’église Saint-Xantin a la forme d’une croix latine : une nef simple de deux travées conduite à un transept débordant, dans lequel s’ouvrent des chapelles orientées ; un travée droite forme le chœur, dans le prolongement de la nef, et précède une abside à pans coupés. Le chœur et les croisillons sont couverts d’un berceau légèrement brisé. C’est à la croisée du transept que la voûte d’ogives fait son apparition, là où les bâtisseurs romans auraient élevé une coupole. Des nervures à deux tores latéraux se joignent sur la circonférence d’un oculus, ménagé à la clef pour laisser descendre les cordes des cloches. Les voûtains prennent appui sur les arcs à double rouleau romans qui ouvrent la croisée sur le chœur, les croisillons et la nef. On peut donc dire que le projet de voûter d’ogives la croisée du transept est venu en dernier, après qu’on eût construit les supports propres à recevoir une coupole. La nef est en revanche l’œuvre d’une seule et même équipe de bâtisseurs, qui maîtrisait le procédé de la croisée d’ogives. Les nervures et formerets à profil torique dessinent des arcs parfaits, et n’ont plus rien à voir avec les ogives archaïques de Sioniac. Cependant, les nouveaux bâtisseurs ne se sont pas encore totalement affranchis des principes de construction romans. Les arcs doubleaux sont larges, et retombent sur des colonnes engagées à chapiteaux sculptés, flanquées de colonnes d’angle recevant ogives et formerets. Si la voûte est gothique, donc, les supports restent comparables à ceux de l’ancien style. Les formes architecturales romanes demeurent dans le premier gothique, tout comme demeure la prudence vis-à-vis de l’éclairage de la nef. Celui-ci n’est assuré que par d’étroites baies, une par travée, qui ne visent assurément pas à la « destruction optique du mur » chère aux bâtisseurs de cathédrales. L’église de Malemort présente donc une certaine unité, malgré le changement de style qui s’amorce dans le voûtement de la nef. Nous mettrons ici à part le portail occidental, dont le caractère gothique est plus nettement accentué. Mais il faut bien constater que Saint-Xantin a été construite à la manière d’une église romane, avec des murs épais et de solides contreforts adossés aux murs gouttereaux de la nef. Qui plus est, les modillons qui soutiennent la corniche sont du même ciseau, au mur sud et au croisillon sud, alors que ces deux parties de l’édifice ne sont pas voûtées dans le même style. Nous reconnaissons là le pittoresque du décor roman, avec ses visages grimaçants, ses bêtes anthropoïdes et d’étonnants modillons présentant ici un personnage buvant à un tonneau, là le portant sur ses épaules. Un même atelier, contemporain des bâtisseurs romans et qui oeuvrait à la cime de ses édifices, a donc aussi participé à l’élévation de la nef gothique. Ceci ne laisse aucun doute sur la conduite du chantier de l’église de Malemort, qui a dû être mené sans interruption, d’est en ouest, l’ « équipe gothique » succédant à sa devancière à partir de la croisée du transept.

 

 

 La transformation du décor sculpté


 

 Si, à Malemort, les supports architecturaux n’évoluent guère avec l’apparition de la voûte d’ogives, il n’en va pas de même pour le décor sculpté. Les chapiteaux de la nef, comparables par leur forme à ceux du chœur, ont perdu tout caractère roman : des crochets végétaux, par exemple, faisant saillie à l’arête supérieure, laissent nu tout le bas de la corbeille. Les principes et les thèmes de la sculpture romane s’effacent pour laisser place à un décor qui ne présente plus que des motifs, sur lesquels le regard ne s’arrête pas. La coupure est ici radicale, et on peut dire que les sculpteurs de chapiteaux disparaissent tout à fait avec la naissance de la nouvelle architecture. Sur ce point, l’époque gothique n’emprunte rien à sa devancière, hormis la façon de sculpter de petites têtes humaines, à la retombée des ogives ou des archivoltes des portails, qui doit être rattachée aux ciseleurs de modillons romans (Malemort, Dampniat). Une exception doit être néanmoins faite pour le portail de l’église d’Arnac, qui présente bien une forme de transition entre la sculpture romane et le décor gothique. Quatre voussures en arc brisé font l’ébrasement du portail, et logent des tores qui se prolongent jusqu’au sol par d’étroites colonnettes. Les chapiteaux sont sculptés à la manière romane, et présentent des motifs de tiges perlés terminées en palmettes, de masques animaux crachant des tiges, de personnages engoulés par la gueule d’un monstre ; un curieux morceau, enfin, surmontant la dernière colonnette et le piédroit du portail, montre un personnage accroupi, aux oreilles démesurées, flanqué d’un homme posant les mains sur sa tête. Mis à part ce dernier cas, les chapiteaux sont tous d’inspiration romane et se retrouvent dans d’autres édifices de la région. En revanche, ce qui est particulier ici, c’est que les chapiteaux tendent à former frise ; les corbeilles sont séparées de feuilles plates sculptées sur les retours, et surmontées d’un fort tailloir continu lui aussi décoré de petites feuilles. Le décor roman s’insère donc ici dans un cadre architectural et décoratif qui annonce les développements du portail gothique, qui conserve souvent des moulurations toriques mais finit par annuler la discontinuité entre les chapiteaux en les sculptant sur un seul plan oblique.


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